Il y a vingt ans, le libertinage attirait essentiellement les 45-55 ans. Aujourd’hui, cette pratique séduit aussi les 20-30 ans.
Comment le libertinage transforme la sexualité ?
Été 2017, à la table d’un dîner de mariage, au bord d’une plage corse. Une poignée de jeunes couples échangent avec entrain à propos de leur passion commune : le libertinage. L’alcool aidant, les langues se délient. La première fois, c’est ma copine qui m’en a parlé, lance Mathieu, l’un des garçons d’honneur, 30 ans, basé dans les Hauts-de-Seine et originaire d’Agde. Elle était attirée par les femmes et voulait tenter une nouvelle expérience. Influencés par les clichés hétéros, on aurait tendance à penser que ce sont plutôt les hommes qui demandent à leur partenaire de s’essayer à ce type de pratiques qui sortent de l’ordinaire, mais, selon notre panel de jeunes couples, ce sont souvent les femmes qui font le premier pas. La première fois que nous sommes allés dans un club libertin avec ma copine, nous avons rencontré une bisexuelle. On a conversé, puis les filles se sont embrassées avant d’aller prendre une douche. Elles ne se sont pas souciées de moi jusqu’à ce que la fille en question demande à ma copine si elle pouvait aussi m’embrasser, explique Jérémy, originaire de Metz. Ces deux-là ne sont pas des cas à part. De plus en plus de trentenaires se laissent tenter. On sort peu à peu du cliché des quinquas qui souhaitent pimenter leur vie de couple.
De quoi redonner une nouvelle jeunesse à cette pratique jadis réservée aux couples plus matures et qui souffrait d’une image ringarde et pas franchement sexy. Si l’ancienne génération se contentait de fréquenter certaines adresses régulièrement (à Paris, Les Chandelles ou Le Moon City), culture millenial oblige, les jeunes couples misent aussi sur des sites spécialisés pour accélérer ce type de rencontres. Pour cette génération très connectée, il est tentant d’y faire un tour, par curiosité, avant de sauter le pas, ou pour trouver facilement un ou une partenaire dès qu’on en ressent l’envie, poursuit Marjorie Cambier. Wyylde.com est le site le plus populaire, l’équivalent libertin de Tinder ou de AdopteUnMec. Un tiers de ses nouveaux inscrits a entre 20 et 30 ans, contre une majorité de quadragénaires il y a encore quelques mois et représente une nouvelle génération friande de porno, très influencée par ses codes, qui banalise le triolisme et autres gangs.
Alors, comment devient-on libertin ?
Certains se lancent pour briser la routine, d’autres pour sauver leur couple, aussi étrange que cela puisse paraître. Mais attention à ne pas franchir le cap pour faire plaisir à l’autre, ou, au contraire, à placer ses désirs au premier plan. L’impulsion doit être commune. À chaque fois qu’on va dans un club libertin ou dans une soirée privée, on y va à deux, sinon ce n’est pas du jeu. Il m’arrive de ne pas coucher avec d’autres femmes, mais de prendre du plaisir en observant ma copine faire l’amour avec des partenaires différents, explique Mathieu. Pour Manon, 28 ans, sa compagne, accro au sexe sulfureux depuis dix ans, le libertinage est carrément devenu un mode de vie : Cela me permet d’éviter l’ennui d’une sexualité classique. J’ai déjà fait l’amour à plusieurs, avec des dizaines de personnes en même temps (dans les clubs libertins, certaines pièces peuvent accueillir jusqu’à trente personnes, ndlr). J’ai déjà utilisé des accessoires comme des sex-toys, des menottes ou des fouets, la plupart du temps avec des femmes. Par contre, je n’aime pas le SM, à chacun de fixer ses limites. Dans le quotidien de Jérémy aussi, cette pratique sexuelle a eu un impact, en lui permettant entre autres de renouveler son cercle de potes : j’ai changé certaines de mes habitudes. Avant, j’adorais voyager, aujourd’hui, tous les étés, je descends dans le Sud de la France, à Agde, pour y retrouver mes amis libertins. Mais la plupart de ses proches ne sont pas au courant : je n’ai jamais osé en parler aux membres de ma famille par exemple, ils ne sont pas ouverts d’esprit, ils ne comprendraient pas. Certains de mes amis m’ont d’ailleurs tourné le dos. Si ses rangs se renouvellent, le tabou du libertinage, lui, reste intemporel.